« Nouveau coup d’éclat signé Philippe Brault et Upian »
Le blog documentaire
« Un webdoc inventif » Télérama
Par Alexandrre Comte - Les Inrockuptibles
Le photographe et réalisateur Philippe Brault a voyagé pendant neuf semaines avec l’équipe du « Jeu des 1000 euros », le programme culte de France Inter. Il en a tiré un web-documentaire beau et mélancolique : « Le jeu des 1000 histoires ». On dit Super Banco.
Un photographe qui prend pour sujet une émission de radio : l’idée peut paraître saugrenue. En même temps, ce n’est pas un programme comme les autres. "Le Jeu des 1000 euros", crée par Henri Kubnick en 1958, n’est rien moins que le plus vieux jeu de la radio. Il s’est successivement appelé "Cent mille francs par jour", "Jeu des mille nouveaux francs", "Jeu des 1000 francs" et enfin "Jeu des 1000 euros". C’est dire. Mais par-delà son ancienneté, ce qui fait l’identité et le sel de l’émission, c’est son tournage itinérant, en public, dans les villes et villages de France.
Nicolas Stoufflet – qui l’anime depuis 2008 – et son complice Yann Pailleret sillonnent les routes du pays à longueur d’année pour venir à la rencontre des auditeurs et les faire participer au jeu. C’est cet aspect qui a séduit Philippe Brault, qui s’était déjà fait remarquer avec le web-documentaire Prison Valley, coréalisé avec le journaliste David Dufresne. "Je me suis rendu compte que je n’avais jamais travaillé sur mon pays. Comme beaucoup de photographes, j’ai longtemps cherché le voyage, l’exotisme. Je me suis dit que j’allais me servir du Jeu des 1000 euros pour raconter quelque chose sur la France."
1000 histoires
Le "Jeu des 1000 histoires" se compose de courtes séquences de 2, 3 minutes. Trente séquences en tout, titrées et classées en trois catégories : avant, pendant et après l’enregistrement. L’internaute en choisit une par catégorie et les regarde à la suite, ou bien décide de se laisser guider aléatoirement. Philippe Brault, accompagné d’un ingénieur du son, a pris en photo et filmé des petits bouts de vie, des lieux, des paysages. Les fidèles du jeu découvriront avec plaisir les coulisses de l’émission. Ils retrouveront les ingrédients qui composent la recette unique de l’émission : les questions de culture générales posées aux candidats sélectionnés, le public qui scande "Banco, banco, banco !", encouragé par Nicolas Stoufflet, ou encore le fameux décompte des secondes sonorisé par le métallophone de Yann Pailleret.
Nicolas Stoufflet et Yann Pailleret campent les deux personnages principaux de ces mille histoires. On se plonge dans leur quotidien de tournage, réglé comme du papier à musique : arrivée dans une ville, rencontre avec le maire, découverte de la salle de tournage, enregistrement, dialogue avec le public, hôtel. Puis à nouveau la route, vers une nouvelle ville, un nouveau maire, une nouvelle salle.
"Une France en crise"
En explorant le Jeu des 1000 histoires, on pense à Depardon ou encore à l’émission Strip-Tease. Il n’y a pas de commentaire en voix off, ni d’interviews : Philippe Brault s’y est refusé. "Je ne voulais surtout pas que ça ressemble à un documentaire pour la télé", explique-t-il. "D’où ce choix de travailler en séquences, de manière non-linéaire, dans une démarche impressionniste." En creux, le photographe dessine un portrait de la France. Il filme des paysages sublimes et des villes endormies. Souvent il délaisse les hommes et capture les lieux abandonnés : salles vides, rues désertes, devantures de magasins inanimées.
Madeleine de Proust
Joël Ronez, directeur des nouveaux média à Radio France, est satisfait du résultat. "J’adore le travail de Philippe Brault, il sait créer une histoire rien qu’avec un cadrage. Il a un point de vue d’auteur, bienveillant, tendre, pas cynique. Et puis il y a ce magnifique fil rouge qu’est le Jeu des 1000 euros, installé dans le cœur des français depuis plus de cinquante ans."
Philippe Brault revendique cette dimension un peu mélancolique.
«Même s’il y a des moments supers, le tournage n’est pas toujours très gai. On traverse parfois des villages où l’enregistrement du Jeu des 1000 euros est la seule attraction de l’année. Des villes où il n’y a plus rien au niveau culturel, où les commerces ferment un par un. Je voulais aussi montrer une France en crise.»
L’affection pour ce jeu écouté par plusieurs générations se ressent dans le web-documentaire. Des auditeurs profitent de la venue de l’équipe pour raconter leur rapport à l’émission. "Il y a un côté Madeleine de Proust", confie l’un d’eux. Depuis qu’il a terminé son web-docu, Philippe Brault réécoute lui aussi le jeu en simple auditeur. "Ça me fait drôle", dit-il. "J’essaye d’imaginer où ils sont, dans quelle salle des fêtes improbable. Je visualise les tables, les verres, le métallophone…". Jusqu’à entendre la formule rituelle scandée par Nicolas Stoufflet pour clore l’émission : "À demain, si vous le voulez bien !". On veut bien.