Extrait du travail de la “Grande commande photo de la BNF 2022”.
Boulogne-sur-Mer, 2022. La crise des licences post-Brexit secoue une filière déjà éprouvée. L’accès aux eaux britanniques — véritable poumon de la pêche locale — s’est refermé d’un coup sec, laissant sur le quai des hommes démunis face à un horizon soudain rétréci. Christophe, Stéphane et José affrontent ce bouleversement qui menace non seulement leur métier, mais tout un héritage ancré dans le sel et la houle.
Sur le quai Gambetta, les homards claquent encore dans les casiers, les soles glissent sur les étals, mais une inquiétude sourde flotte au-dessus des bateaux. Vingt-deux navires seulement, sur les cent-vingt de la flotte, ont décroché le précieux sésame pour pêcher côté anglais. Les autres, contraints de se rabattre sur les eaux françaises, se heurtent à une concurrence féroce. Les grands senneurs belges et hollandais ratissent les fonds marins avec une puissance qui écrase les artisans, comme si une économie entière venait se mesurer à une poignée d’hommes.
Christophe, enfant d’Audresselles, porte la mer en héritage, un patrimoine transmis de père en fils comme une seconde peau. Les dernières années l’ont pourtant brisé : un divorce, un bateau perdu, la vie qui vacille. Il a tenu bon, agrippé à ce qui lui reste de lumière, et navigue aujourd’hui sur le Don Lubi II, épaulé par Stéphane Pinto. En saison de la sole, leurs jours se réduisent à l’essentiel : la mer, le froid, la fatigue lourde qui tombe comme une chape. Ils dorment à bord, volent quelques heures de repos entre deux traits, et repartent affronter le vent, le courant, et le doute qui s’invite à chaque sortie.
Accompagner ces hommes fut un privilège : celui de voir, derrière les gestes répétés, la force d’une fidélité obstinée à la mer, à leur terre, à leur histoire. Une endurance silencieuse qui mérite d’être racontée.